jeudi 16 février 2012

Life and art of David Fincher: les péchés


Quand Arnold Kopelson parle de SE7EN à Fincher, ce dernier entrevoit dans le scénario de l'inconnu Andrew Kevin Walker un moyen de mettre en oeuvre un grand nombre de choses qu'il a du laisser au placard avec Alien3.

Pour imposer son thriller, Fincher prend les devants, fait écrire 10 versions du scénario, la plus sage et acceptable étant celle qu'on retrouvera à l'écran, les neuf suivantes toutes plus horrible les unes que les autres. Les producteurs signent donc pour la version qu'il veut, et ils s'accordent pour elle et elle seule. Fincher obtient son premier accord de réalisateur, a enfin les mains libre.

Le budget est confortable, la maniaquerie fincherienne peut se mettre en place (il fera écrire tous les carnets de John Doe à la main, tous sans exception), il pourra imposer toutes ses idées, impose enfin son ton et sa manière. Une ville sans nom, un tueur nommé John Doe, des crimes rituels, un final apocalyptique, aucune concession.

Pour le casting, il parvient à signer pour le film Morgan Freeman, Brad Pitt, R. Lee Ermey et Gwyneth Paltrow. Pour obtenir Kevin Spacey dans le rôle de Doe, trop cher pour la production déjà en place, Pitt consent à réduire son salaire, persuadé qu'il s'agit là pour lui du projet qui lui fera gagner une autre stature.

Il rassemble autour de lui une équipe technique riche, le décorateur Arthur Max et le chef op Darius Khnondji définissent le caractère esthétique du film, accompagné d'une mise en scène nerveuse, toujours proche des personnages, à l'épaule...

Le film se déroule sous une pluie permanente, maintenant l'effet de huis-clos voulu (et nous ramenant à Alien 3). Le film ouvre rapidement sur un générique qui met en avant le talent de Kyle Cooper, qui grace à ce dernier deviendra LE réalisateur de générique (ce générique qui sera qualifié par le New York Times comme l'un des grandes innovations de design des années 90). On retrouve sur ce générique Trent Reznor (déjà), et les rites de John Doe...



SE7EN sort en 1995, et New Line a peur. Les projections tests ne sont pas bonnes, le film est trop sombre, la femme meurt, tout le monde a perdu, les gens sortent de là tétanisés par tant de violence...

Et pourtant Fincher, qui fait des concessions (la phrase d'Hemingway, pour alléger la sauce, les acteurs sur l'affiche, quand lui ne voulait qu'une porte ouvrant dans les flammes), ne cède rien et c'est lui qui aura raison.

Pour 33 millions de dollars, Se7en (ça s'écrit comme ça) rapporte plus de 100 millions de dollars et se place neuvième parmi les succès de 1995, le film restera quatre semaines consécutives en tête du box office, bénéficiant d'un bouche à oreille impressionnant. Il récoltera le même succès à l'international.


De Fincher, il reste les mêmes éléments d'Alien 3, un attachement à une certaine idée de la société, sombre, tendant vers les extrèmes. On retrouve le fanatisme religieux, le trouble autour du rapport au père, la déconstruction sociale tendant vers l'anonymat...Comme si Alien3 avait été le préquel de Se7en. Aussi, comme si Se7en, vrai premier film de Fincher, reflétait enfin les ambitions du jeune réalisateur, enfin libre.

Des scènes mémorables restent en tête. La visite de l'appartement de John Doe, par exemple, la découverte de ses tiroirs, de ses carnets, la longue visite silencieuse d'un enfer esthétique et humain glace le sang et affiche en quelques minutes les intentions de Fincher, éprouver les contradictions qu'incarne Doe, celle de son pays (et par extention des sociétés occidentales), où se mêlent sexe, drogue, religion, cupidité, morale... En cela, le discours final de John Doe, dans la voiture, long monologue effrayant (narré par un Kevin Spacey possédé) est une diatribe en cela effrayante qu'elle pourrait convaincre, renvoyant chacun à ses propres contradictions, Somerset à sa lâcheté, Mills à sa réactivité punitive fascisante...Comme un miroir tendu à la bonne volonté et la justice, clamant son impureté, ses erreurs...Le cauchemar de Fincher est réel et frappe tout le monde. Le film n'est alors plus un thriller mais une méditation sur l'équilibre du bien et du mal au sein de nos sociétés, sans présenter de réponses, sans affirmer ou justifier.

L'accueil critique globalement positif laisse tout de même quelques séquelles dures à enlever. Fincher reste un réalisateur de "clip", et donc sa réalisation est "clippesque" et le réalisateur semble définitivement attaché à cette image de faiseur d'image gore "faciles"...La critique française, sage, prépare les armes pour la suite des évènements, le roquet devra se taire. Fincher montera sur scène une fois pour Se7en, aux MTV Movie awards, où il reçoit le prix de meilleur film, et dira "On dit de Se7en que c'est un film "MTV"...Je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose". Fincher, boudé par les prix classique (une seule petite nomination aux oscars, le scénario, la mise en scène, le montage et surtout la photo étant boudé) préfère afficher sa différence et accepte son statut aux yeux du monde du cinéma. Il faudra attendre Zodiac pour qu'on voit en lui un autre personnage.


Se7en a également mis en place une recette, celle d'un film qui finit mal, à l'esthétique forte, chargée de sadisme, avec une photographie poussant vers le glauque...Cette recette devint avec le film un succès, et c'est avec se7en que la valse des "films de serial killer" se met définitivement en place, chaque réalisateur, chaque studio voulant à terme avoir son Se7en, cette imagerie là, ce final sadique...Fincher, avec son film, ouvrait la porte à un cinéma qui s'est invité pour le meilleur (et aussi trop souvent pour le pire), en salle, déverrouillant de nombreux projets et pas mal de censure.


Avec Se7en, Fincher signait son film clé, celui qui le définirait pendant longtemps. Le film suivant allait essuyer les plâtres de cette montée en puissance...

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