mardi 31 janvier 2012

Life and Art of David Fincher : l'Alien qui redéfinit l'homme


A l'aube des année 90, Fincher est le clippeur le plus demandé au monde. Ses vidéos l'ont rendu important dans son micro-univers, et l'heure du passage au film est venue pour lui. A l'époque, rare, encore, sont ceux de la pub et du clip qui sont venus au film (on pense à Russel Mulcahy, réalisateur d'Highlander, pionnier du "passage" du clip au film). C'est à ce moment là qu'on lui offre un travail qu'il semble incapable de refuser.

Fincher, pas encore 30 ans, se voit proposer la direction d'Alien 3, suivant les pas de Ridley Scott et James Cameron, deux de ses idoles. Le réalisateur, conquis par l'idée, ne sait pas encore dans quoi il met les pieds.

Alien 3 est passé par mille mains, scénariste (William Gibson, David Twohy), réalisateurs (Renny Harlin, Walter Hill, Vincent Ward), a déjà couté une fortune en préparation à la Fox qui veut un résultat qui comblera les attentes et maintiendra le niveau de vache à lait qu'est pour le studio la franchise.


Fincher arrive en réunion sur le projet et amène des idées fortes, garder l'aspect prison, garder l'aspect religieux, raser la tête de Sigourney Weaver et tuer les survivants du second opus...Le jeune homme déconcerte, il y a dans son travail des parti pris forts. La Fox lui confie le bébé, tout en laissant la vraie direction des opérations aux producteurs.

Fincher, aussi, est déjà le maniaque qu'il allait devenir. Le réalisateur est une forte tête, alors qu'on espère qu'il livrera un film classique d'action, qui fera ses entrées.


Sur le documentaire disponible du film fourni dans l'anthologie Alien en DVD, on peut découvrir les différentes strates du projet, et le cauchemar de Fincher sur le plateau, luttant pour obtenir tout et rien, braquant la caméra du making of sur les producteurs, leur faisant promettre devant caméra de l'argent pour les décors, les effets visuels. Fincher souffre de ne pas pouvoir faire dès ses débuts le grand film de SF qu'il a en tête. Le jeune réalisateur voit dans Alien3 le moyen de signer une fresque immense, un film qui définira sa carrière. Ce sera le cas, mais pas de la manière qu'il entend.

Le tournage d'Alien3 est abrégé, Fincher viré du plateau, une partie du scénario non tourné du fait de dépassements de temps et d'argent. Fincher revient cependant au montage, livre une version, encore trop sombre, qui sera redécoupé par la production. Le réalisateur confessera plus tard qu'au moment du montage les émeutes de Los Angeles ravageait la ville et qu'il fantasmait que les émeutes génèrent un incendie prenant aux archives de la Fox où les négatifs du film étaient entreposés, ne laissant aucune trace du film.

Le film sort l'été 1992, et est un lourd échec, malaimé par la critique US qui a eu vent du tournage en souffrance et qui n'attend pas de le voir pour le détruire en rêgle. En France, le reçu est différent, voir même opposé. Le film de Fincher, même si massacré, demeure l'un des blockbusters les plus sombres et glauques jamais filmés, un film porté par une ambiance et un fond terrifiant. Les cranes rasés, les poursuites, les relations entre les personnages, la mort de Ripley...Tout dans le film sent la mort et l'horreur, et Fincher, même s'il le renie, se fait un nom avec le film auprès des fans de SF et des autres qui rangeront Alien3 à côté des oeuvres de Scott et Cameron sans l'ignorer. Et puis il y a ce plan légendaire...


En rapport au reste de l'œuvre de Fincher, on note l'obsession pour le fanatisme religieux, très présent ailleurs, dans la symbolique esthétique comme dans le fond. On gardera aussi l'idée d'enfermer les héros, les femmes notamment, dans un carcan où elles doivent faire face à elle-même autant qu'aux autres. On notera aussi dans Alien3 un certain rapport à la parenté, dans le rapport maternel de Ripley et les figure paternelles qui l'entourent, Charles Dance (en compagnon de vie) jusqu'à l'Alien lui-même (géniteur, protecteur, jaloux et monstre), rapport au père qui poursuit inlassablement Fincher jusqu'à Benjamin Button. Fincher ose aborder au sein de son film ce qui sera la matrice de ses quatre films suivants, et bien que le film soit amputé, renié par son réalisateur (il refuse encore d'en parler), il n'en demeure pas moins un de ses bébés.

Quant au director's cut, Fincher expliquant, lors de la promo de Panic Room que celui-ci n'existerait jamais du fait de l'interruption du tournage, de nombreuses scènes faisant le tout manquant simplement à l'appel.

De cette expérience, Fincher gardera une trace, ne jamais s'engager sur un film qui ne sera pas totalement le sien, quitte à abandonner des projets, à lâcher prise, à ne pas monter des oeuvres...Fincher financera sa vie avec le clip et la pub. Le cinéma ne vit pas que durant son exploitation en salle, il doit être entièrement selon sa volonté. Du désastre Alien3 nait un homme totalement impliqué, intransigeant, couvrant la totalité de l'oeuvre, sans demander son avis à qui que ce soit.

Il signera pour un budget énorme le Love Is Strong des Rolling Stones, revenant pas la grande porte au clip, avant de retourner au film, par la petite cette fois et un petit film qui deviendra le maître étalon du thriller pendant plus de 10 ans.

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