mardi 6 décembre 2011

L'art (français) de la guerre




Parlons bouquin un peu.

Je lis peu, ces temps-ci. Ou plutôt j'ai lu un méga pavé énorme (le titre est éloquent), et là je suis en "pause BD". Pour preuve, je n'accroche à rien. Très dur de tenir un Greg Bear quand on n'en a pas vraiment envie (et puis c'est Greg Bear qui écrit sur Halo, donc c'est quand même pour les fans), encore plus dur pour de la bit-lit...

Non, je suis en mode BD, puisque sortent de nos jours sortent de bien bonnes choses, le second Quai d'Orsay, le sixième volume des notes de Boulet...

Mais bon, je l'ai tout de même terminé, et c'est avec un plaisir non dissimulé que je vais vous parler en quelques lignes d'un roman en tout point fascinant.

L'art français de la guerre est un premier roman. Rien que d'envisager un premier roman faisant 630 pages bien tassées, bien nourries de références, d'une prose riche, d'un équilibre parfait entre dialogue, narration et description (là où d'autres auteurs livrent plus un scénario qu'autre chose), on contemple et on se tait.

L'art français de la guerre (je ne me lasse pas de ce titre) fait peur. Sa taille, son sujet, sa renommée, son prix. Le lire en entier est un exploit à conter en société, un peu comme pendant des décennies les autres se réjouissait de dire qu'ils avaient achevé le temps perdu de Proust.

L'art français de la guerre, venons-en au sujet, est un roman en deux parties.
La première narre la vie d'un homme sans passion, désintéressé de son quotidien qui abandonne tout pour un McJob (livreur de prospectus), et fait le récit de la France contemporaine, son malheur, son indigestion des drames du passé, sa guerre passive du quotidien. Il est bien narrateur, sans nom, notre héros, comme chez Palahniuk, on y pense d'ailleurs, à Fight club, curieusement, dans cette approche sans concession de la violence du dehors, dans la noirceur du récit, sa folie.

Jacques Perrin chez Schoendoerffer,
qui vient en tête pendant la lecture


Le second est celui de sa rencontre avec son libérateur, Victorien Salagnon, témoin de la guerre française, résistant, engagé en Indochine puis en Algérie, mais aussi peintre, artiste, l'auteur présentant la complexité de la nature de Salagnon pour mieux rendre les nuances du conflit, sa noirceur, sa réalité et parfois la beauté du geste qu'il accompagne.

Le choc des deux présente un message clair. La France, sortie de la seconde guerre mondiale, n'a jamais vraiment digéré sa déchéance, n'a pas tenu ses promesses et s'est embourbé dans une relation malsaine vis à vis de ses colonies, de son rapport à l'occupation de lieux qui ne lui appartenait pas, comme l'Allemagne vis à vis de la France. Je repense à une image en écrivant ceci, celle d'une candidate d'extrème droite clamant qu'on ne pouvait la considérer comme raciste ou autre car elle était petite fille de résistante, cette image s'accompagnant d'une autre de ces femmes qui disait que le malheur dans tout ça fut de libérer l'Algérie, de céder... Ce prolongement d'idée me revient alors que je parle du roman de Jenni, qui narre un peu tout cela, ce complexe rapport au territoire et au conflit, un syndrome, un malaise, qui emplit tout, notamment le cinéma, autre élément qui m'a interpellé, notamment à l'évocation du film de Ridley Scott, La chute du faucon noir, qu'il évoque en le mettant autant en exergue qu'il en déteste certains aspects nauséabonds. Le fait est que le film de Scott est un film important, notamment et surtout dans l'évocation du cinéma de guerre. Pas parce qu'il est patriote ou anti-guerre, mais parce qu'il décrit avec une force terrifiante la guerre moderne.

Certes, la guerre n'est pas tout le livre, il y a aussi l'art dans le titre. Ce dernier, décrit par Jenni au travers des mots de Salagnon, nait dans la solitude, à ce qu'il m'a semblé. L'artiste est seul à la création mais conçoit pour narrer à l'autre ce qu'il est, ce qu'il vit. L'art est un instrument pour les autres, l'artiste peint pour survivre, pour exorter un démon. Pas forcément l'horreur, il peint le quotidien et l'envoie à celle qu'il aime, pour lui faire vivre à distance, pour se rapprocher d'elle, pour être là-bas aussi, loin de la guerre. Les pages de Jenni évoquant la peinture de Salagnon sont, avec celles du "conflit" quotidien, les plus fortes du récit.

On ressort du récit sonné et aussi essoufflé, car c'est un gros livre, pleins de tant de récits, de descriptions fortes. On voudrait noter à part tant de phrases qui frappent juste. On est parfois remuer et choquer, parfois en désaccord avec l'auteur, souvent manichéen, appuyant trop là où ça fait mal jusqu'à en perdre sa crédibilité. Mais au delà du plaidoyer, c'est la beauté de l'écriture, sa force, qui demeure.

L'art français de la guerre est un de ces grands livres là, qui marquent de façon indélébile les uns et se ferme trop vite aux autres. Je suis content d'être des uns.

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